En quelques années à peine, la prise en compte de critères de développement durable dans la sélection des fonds financiers européens est devenue la norme. L’édition 2023 de l’Observatoire de la gestion ISR de Quantalys Harvest Group, en partenariat avec Robeco, en apporte une nouvelle preuve.
Cette enquête constate que les fonds dits « ISR », c’est-à-dire intégrant des critères extra-financiers comme l’environnement, le social ou la bonne gouvernance (RSE) représentaient à fin décembre 4.550 milliards d’euros d’actifs sous gestion, soit près de la moitié du marché européen de la gestion. Une part spectaculaire alors que le poids de ces fonds a été multiplié par 13 sur les cinq dernières années.
En 2018, le montant des actifs gérés par ces fonds n’était que de 347 milliards d’euros, soit 5% du marché européen. Le développement des actifs ISR s’est surtout accéléré après la crise sanitaire : leur croissance annuelle a bondi de 38% en 2021, puis de 45% en 2022 comme en 2023.
La succession de crises comme catalyseur ?
« Plusieurs raisons macro-économiques expliquent cette bascule comme les politiques publiques visant à favoriser le fléchage des capitaux vers les besoins de financement en Europe, vers les grandes mutations technologiques, démographiques et climatiques, indiquent les auteurs de l’enquête. On peut citer également les évolutions réglementaires de notre industrie financière (préférences ESG, classification SFDR, taxonomie…) ou encore la prise de conscience des investisseurs pendant les différentes crises sanitaires, énergétiques, climatiques, alimentaires … qui ont agi comme des accélérateurs ».
Mais l’Observatoire relève d’autres tendances à l’œuvre ayant porté l’investissement responsable au rang de standard de la gestion d’actifs européenne, comme l’intégration d’une approche ESG désormais présente dans toutes les classes d’actifs – des actions au private equity en passant par les fonds diversifiés et monétaires – la croissance du nombre de fonds thématiques aux objectifs de développement durable (554) ou encore celle des ETF (déjà 7% de la gestion ISR en Europe).
Du côté de la demande, « les investisseurs sont de plus en plus engagés via des fonds de transition (pour accompagner les entreprises traditionnelles à s’adapter » mais surtout via des fonds à impact (pour les entreprises développant des solutions) », note aussi l’enquête.
L’assurance vie et le PER, leviers de démocratisation des fonds « durables »
L’accès pour les épargnants à ces investissements a par ailleurs été facilité par le référencement des fonds durables dans les contrats d’assurance vie et les PER. D’une centaine de fonds ISR en moyenne par contrat en 2021, ce nombre a été multiplié par trois en trois ans pour atteindre plus de 300 fonds ISR en moyenne par contrat (avec cependant de fortes disparités entre des petits contrats qui en comptent moins d’une trentaine, et des gros supports pouvant proposer jusqu’à plus d’un millier de références ISR). Logiquement, cette démocratisation a aussi touché les professionnels de la gestion du patrimoine et des banquiers privés qui se sont mis à référencer plus largement ces produits.
L’Observatoire cite également comme facteurs « le développement [par l’industrie de la gestion européenne] d’une analyse extra-financière indépendante pour mieux orienter l’épargne vers des entreprises européennes leaders sur leur secteur, performantes et engagées dans les transitions », « un niveau de performance et de risque similaire aux fonds traditionnels », ainsi qu’un besoin d’harmonisation réglementaire en Europe.
« La finance durable a connu ces dernières années une profonde métamorphose : l’ESG s’est imposé comme mainstream, de nombreux progrès ont été réalisés, les connaissances ne cessent de croître, et en même temps, la réglementation se complexifie », observe Karim Carmoun, président de Robeco France, dont le groupe compte « plus de 95% des encours sous intégration ESG ».
« Pour nourrir la confiance des investisseurs, certains facteurs sont indispensables, dont une plus grande transparence et l’accès à des données de qualité pour définir des normes et quantifier la durabilité », relève-t-il.
De fait, la prise en compte de ces critères « sur le papier » est loin de garantir un engagement réellement significatif des fonds sur les enjeux de développement durable.
Le faible niveau d’exigence du premier « palier » des fonds dits « ISR » selon les critères européens (le règlement SFDR), le classement « article 8 », est décrié par un certain nombre de spécialistes, car il repose sur une base déclarative et n’impose pas la poursuite d’un objectif de développement durable.
Réforme du label ISR : plus d’un millier de fonds concernés
On peut espérer cependant que la réforme de la labellisation ISR fasse faire un pas en avant au niveau général de l’engagement « durable » des fonds. La 3e version du label français, le plus répandu du marché européen, entre en vigueur ce vendredi 1er mars pour les nouveaux candidats à la labellisation, avec un délai supplémentaire d’un an prévu pour les quelque 1.065 fonds déjà labellisés.
Le changement est de taille puisqu’au-delà d’une sélectivité plus élevée pour le score ESG, les fonds ne pourront plus référencer les entreprises dont plus de 5% de l’activité vient du charbon ou des énergies fossiles non conventionnelles, ni celles projetant de nouveaux projets d’hydrocarbures, qu’ils soient conventionnels ou non.
En l’état, pas moins de la moitié des fonds labellisés seraient hors des clous s’ils devaient renouveler leur labellisation aujourd’hui. Ou le seront d’ici à l’année prochaine s’ils n’arbitrent pas leurs portefeuilles cette année. « L’univers des fonds labellisés ISR va probablement se réduire, car les gestionnaires de portefeuille qui trouveront les nouveaux critères trop contraignants abandonneront le label », anticipait en novembre MorningStar, constatant que 45% des fonds labellisés ISR n’étaient pas éligibles au nouveau label.